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(fr) Union Communiste Libertaire (UCL) - Équateur: La prétendue guerre contre le narcotrafic est une guerre contre le peuple
Date
Wed, 13 Mar 2024 20:09:07 +0000
En Équateur, le gouvernement prétend faire la guerre au narcotrafic.
Mais en ciblant les populations appauvries et racisées, l'État crée en
réalité un délit de pauvreté qui aboutit à des milliers
d'emprisonnements au détriment des droits humains. En légalisant le port
d'armes, en multipliant les moyens répressifs et en construisant des
«méga-prisons», l'Équateur s'est lancé dans une guerre contre le peuple.
---- «¡No son terroristas! ¡No somos terroristas!» «Ce ne sont pas des
terroristes! Nous ne sommes pas des terroristes!», scandent les comités
de familles de personnes incarcérées qui ont organisé plusieurs
rassemblements dans différentes villes d'Équateur depuis le 9 janvier.
Ce slogan résonne dans les rues alors que des vidéos de prisonniers et
de prisonnières humiliées et écrasées par les forces militaires
circulent sur les réseaux sociaux, générant l'approbation de milliers
d'internautes.
Cela vient nous rappeler deux points essentiels. Premièrement, le
«conflit armé interne» déclaré par le président Daniel Noboa n'est pas
une guerre contre les drogues, c'est une guerre menée contre les
populations appauvries et racisées, étiquetées «terroristes» par un
gouvernement qui a arrêté plus de 7200 personnes et tué 8 autres en un
mois. Deuxièmement, la lecture manichéenne des événements à laquelle on
nous entraîne nous fait perdre notre humanité.
La stratégie de la peur
Relayé de toutes parts, le discours de «la guerre contre les drogues»
semble faire l'unanimité, notamment dans les médias. D'un côté, un État
victime, dépassé, de l'autre, des mafias et des groupes armés
tentaculaires qui partent à l'assaut des territoires et institutions.
L'ennemi devient diffus, impalpable, tant et si bien que tout le monde
devient suspect.
Cette lecture officielle des événements empêche toute compréhension et
dépolitise le phénomène en broyant la possibilité d'identifier les
acteurs concrets et les responsables des violences perpétrées. Les
différents scandales démontrant les liens entre l'État et le narcotrafic
sont criants, tandis que le blanchiment d'argent se fait sous la
responsabilité des banques. Mais ni l'État ni les banques ne sont mis en
cause dans cette «guerre contre les drogues».
Pendant que la militarisation et para-militarisation du pays avancent et
que les décrets de libéralisation de l'économie pleuvent, la peur se
retourne contre les liens communautaires, contre la capacité d'action
collective et contre l'autre de manière générale. Et lorsque les
possibilités de construction collective pour la vie sont brisées et que
le sentiment de danger est permanent, les politiques répressives sont
banalisées et la violence d'État devient sens commun[1].
Des méga-prisons où se développe la mafia
Il faut cependant rappeler que la stratégie de «guerre contre les
drogues» est appliquée dès les années 1980-1990 sous l'impulsion des
États-Unis. Des accords commerciaux favorables à l'exportation sont
conclus par l'Équateur en échange de la promesse de lutter contre le
trafic de drogue et de favoriser la présence militaire nord-américaine
dans la région[2]. La guerre contre les drogues s'articule donc autour
de deux axes: une économie néolibéralisée qui accroît les inégalités et
la paupérisation de masse; et la criminalisation massive et raciale des
populations exclues du système d'accumulation de capital légal. En
effet, les populations ciblées par les systèmes pénal et punitif sont en
grande majorité des personnes afro-descendantes, montubias, et de
descendance autochtone[3].
La présidence de Rafael Correa (2007-2017) est ensuite marquée par un
«boom punitif». La population incarcérée triple en moins de dix ans,
avec la construction de complexes pénitentiaires géants à Guayaquil,
Cuenca et Latacunga. La criminalisation des délits de pauvreté, bien
au-delà du micro-trafic de drogue, est facilitée par le développement
des technologies policières et de nouvelles institutions punitives[4].
C'est dans ces nouvelles méga-prisons que se construisent les mafias,
avec une importante responsabilité de l'État et de la police[5]. Cette
période est aussi marquée par l'avancée du néolibéralisme, notamment
avec l'augmentation de l'extractivisme en Amazonie.
Plus de 600 morts en prison depuis 2021
Le retour officiel du néolibéralisme en 2019 marque la multiplication
des états d'urgence, tout d'abord lors du mouvement social de 2019 mené
par la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur),
puis pendant la pandémie, et finalement pendant le mouvement social de
2022, renforçant le système punitif, ainsi que la stigmatisation des
populations racialisées et appauvries, désignées comme source de danger
et étiquetées comme terroristes pendant les mobilisations.
Les gouvernements de Lenín Moreno et Guillermo Lasso orchestrent le
retour des accords avec le FMI et les États-Unis. Plusieurs massacres
ont lieu dans les prisons, avec plus de 600 personnes incarcérées
décédées depuis 2021, tandis que le gouvernement légalise le port
d'armes et encourage la population à «l'autodéfense». La guerre qui se
déroule en Équateur est une guerre néolibérale dirigée contre les
territoires autochtones et les espaces urbains appauvris ainsi que leurs
habitants. En Europe, en France, il est urgent de se défaire de la
narration épique de pays du tiers-monde aux institutions faibles,
envahis par la violence et les mafias de Pablo Escobar des séries Netflix.
Pour ne pas perdre notre humanité il nous faut écouter ceux qui se
trouvent sous les feux croisés des organisations militaires et
paramilitaires et qui subissent l'invasion de leurs lieux de vie: les
puissants de cette guerre sont en haut. Nous ne sommes pas face à un
État trop faible mais bien face à un État punitif exacerbé, raciste,
classiste et patriarcal.
Comme le dit le Manifeste contre la guerre[6]: «Nous nous prononçons
contre la guerre comme stratégie gouvernementale qui s'intensifie
aujourd'hui en Équateur, mais qui a déjà couté la vie à des milliers de
personnes dans des pays de la région comme le Mexique et la Colombie, et
qui s'exprime à travers le génocide dans des pays comme la Palestine.
Notre demande est régionale et mondiale: Nous voulons la paix avec la
justice sociale pour le monde entier!»
Typhaine (UCL Finistère) et Gaëlle Le Gauyer
Notes:
[1]Dawn Marie Paley, Guerra Neoliberal, Desaparición y búsqueda en el
norte de México, 2014.
[2]Lisset Coba Mejía, Sitiadas: la criminalización de las pobres en
Ecuador, 2015.
[3]Andrea Aguirre, Incivil y criminal: Quito como escenario de
construcción estatal de la delincuencia entre los decenios 1960 y 1980,
2019.
[4]Aguirre, Léon, Ribadeneira, Sistema penitenciario y población
penalizada durante la Revolución Ciudadana (2007-2017), 2020.
[5]Jorge Nuñez, Muros: Voces anticarcelarias del Ecuador, 2022.
[6]Manifeste contre la guerre en Équateur, en Amérique Latine et dans le
monde, Change.org.
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Equateur-La-pretendue-guerre-contre-le-narcotrafic-est-une-guerre-contre-le
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