A-Infos (fr) Monde Libertaire - Un pape «fermé comme une huître»

Peut-on découvrir des informations nouvelles relative au comportement de 
la papauté durant la Seconde guerre mondiale? Nina Valbousquet s'est 
plongée dans les archives du Vatican ouvertes en 2019 et couvrant la 
période 1939-1958, soit le pontificat de Pie XII. Elle publie 
aujourd'hui un livre Les âmes tièdes, le Vatican face à la Shoah aux 
éditions La Découverte. Nourri d'arguments, de documents, de 
témoignages, cet ouvrage laisse pantois le lecteur. Albert Camus avait 
bien raison dans son interpellation envers le Pape, datée de Noël 1944: 
«Notre monde n'a pas besoin d'âmes tièdes. Il a besoin de coeurs 
brulants.» ---- On ne peut pas dire le Pape se soit précipiter dans la 
dénonciation d'un des plus grands crimes de l'humanité. Atermoiements, 
confusion dans l'expression, hypocrisie, contournements permanents, le 
plus petit Etat du monde se révélait... Mieux, le Vatican revendique la 
neutralité, «l'absolue impartialité». François Mauriac avait la formule 
féroce, tout comme Léo Ferré parlant de Monsieur tout blanc, «Y a pas si 
longtemps, vous vous taisiez», une chanson interdite à la radio. Malgré 
ce silence assourdissant, le Pape conservait une aura au lendemain de la 
guerre et les puissances occidentales qui n'ignoraient rien de 
l'attitude de Pie XII pendant la guerre, gardaient le silence sur son 
attitude.

Ecclésiocentrisme et judéobolchevisme au Vatican

Comment et pourquoi, l'Eglise ne s'est pas engagée globalement contre 
les crimes nazis et fascistes? Il n'y a pas d'unité en l'espèce et des 
religieux individuellement se sont mobilisés pour organiser des filières 
pour sauver des juifs en intégrant la résistance dans les différents 
pays occupés. Mais l'institution reste rivée sur ses certitudes. En 
premier lieu, relevons l'antijudaïsme chrétien, l'attitude supposée des 
juifs face au Christ, le peuple déicide... Les textes produits par les 
autorités du Vatican démontrent «la culture du mépris» en se limitant à 
une analyse par la théologie alors que des milliers de personnes 
meurent. Même lorsque les faits ne font plus débat, l'Eglise se méfiera 
des catholiques non aryens, les juifs convertis, soupçonnant leur 
éventuelle hypocrisie. Des relents d'inquisition étonnants. En deuxième 
lieu Pie XII et ses conseillers veillent sur les intérêts de l'Eglise 
dans les pays occupés. C'est l'ecclésiocentrisme, la primauté de 
l'Eglise et surtout ne pas se mêler la politique des Etats. En troisième 
lieu, le Pape intègre la confusion entre l'anticommunisme et 
l'antisionisme dans cette formule connue du judéobolchevisme. Plus tard, 
il demandera que les crimes de Staline et ceux d'Hitler et consorts 
soient dénoncés à parts égales.

Le lecteur sera fasciné par les pages consacrées aux couples mixtes 
(juif converti/catholique), les arguties quant au mariage, à la 
sincérité de la conversion, la lenteur dans la réponse des services qui 
conduisent par leur silence à la mort. On va chercher auprès des 
autorités religieuses locales si ces personnes sont de bonne moralité, 
si elles pratiquent le culte... Pourtant, dès 1940, on savait ce qui se 
passait en Pologne. Les rapports avec photos sont communiqués mais le 
Pape est «fermé comme une huître» selon la formule du diplomate 
américain Harold Tittmann, en 1942. Les réponses des services du Vatican 
relèvent la plus grande tradition de la bureaucratie. On accuse 
réception, on ne manquera d'y attacher un grand intérêt, on souligne 
combien le Pape a prié pour les souffrances mais surtout sans mentionner 
les juifs.

D'atermoiements en antisémitisme

Dans les pays envahis comme la Yougoslavie, les catholiques appuient les 
régimes fascistes. Et en France les institutions religieuses soutiennent 
le régime de Vichy. Tiens, c'est curieux, ils devaient rester neutres... 
En 1944, Angelo Dell'Acqua, le responsable du dossier «juifs» au Vatican 
continue à se méfier des juifs, les trouvant trop nombreux, estimant 
qu'après la libération, les juifs vont se rattraper. Cela ne l'empêchera 
pas de poursuivre une très belle carrière auprès du Pape Paul VI. Même 
après la guerre, l'antisémitisme était dans de nombreux esprits. 
L'Eglise cache des enfants juifs baptisés pour qu'ils ne retournent pas 
dans la «mauvaise foi» comme l'Affaire Finally. Cependant, on essaie de 
calmer le jeu. Des juifs remercient le Pape pour son action. Certes, le 
Vatican refuse l'Etat d'Israël. Par anticommunisme, il va participer à 
l'exfiltration de nazis (Mengele, Eichmann, Barbie), demander la 
clémence lors des grands procès de Nuremberg et rejette l'idée de 
vengeance. En France, le soutien aux miliciens, aux anciens de la Légion 
des volontaires français contre le bolchevisme se met en place. Comble 
de l'indécence, des religieux catholiques seront inquiétés par leurs 
autorités religieuses pour avoir aidé des juifs et fait preuve de 
tolérance religieuse.
Oui, Camus avait raison, les âmes brulantes n'étaient pas au Vatican en 
ces temps d'inhumanité, elles se mourraient dans les camps de la mort.

* Nina Valbousquet
Les âmes tièdes
Le Vatican face à la Shoah
Ed. La Découverte, 2024

https://monde-libertaire.fr/?articlen=7771
_________________________________________________
A - I n f o s
informations par, pour, et au sujet des anarchistes
Send news reports to A-infos-fr mailing list
A-infos-fr@ainfos.ca
Subscribe/Unsubscribe https://ainfos.ca/mailman/listinfo/a-infos-fr
Archive: http://ainfos.ca/fr