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(fr) Socialisme Libertaire - De l'essence de la révolution populaire: liberté et socialisme
Date
Fri, 29 Mar 2024 18:28:22 +0000
Rudolf Rocker: Les Soviets trahis par les Bolchéviks (1921) ----
Chapitre IX. - De l'essence de la révolution populaire: liberté et
socialisme ---- «On a bien souvent expliqué que la funeste guerre, qui
n'a pas laissé un instant de répit à la Russie pendant des années, avait
beaucoup contribué à créer cet état désespéré de la situation
intérieure. Il n'y a pas de doute que cette affirmation contient une
bonne part de vérité, sur laquelle Kropotkine lui-même a attiré
l'attention dans son «Message aux travailleurs occidentaux». Reconnaître
ce fait ne doit cependant pas nous amener à méconnaître la cause plus
profonde des choses. Sans la guerre, les bolcheviks auraient
difficilement pu lâcher de telle manière la bride à leurs envies
dictatoriales, et rencontré sans aucun doute plus de résistance de la
part du peuple. Ils n'auraient pas eu non plus la possibilité de
justifier moralement par la gravité de la situation du pays toute
nouvelle limitation de la liberté. Leur politique n'en aurait pas moins
été un danger permanent pour la révolution, restant guidée par des
hypothèses contraires de la manière la plus élémentaire à la nature même
de toute révolution sociale.
En successeurs attardés des jacobins, ils partent en effet de cette idée
que l'on doit imposer d'en haut, aux masses, tout renouvellement social.
N'ayant aucune confiance dans les forces constructives et la capacité du
peuple, leur attitude hostile envers toute initiative venue d'en bas et
ne portant pas le sceau de leur propre politique de parti s'explique
très bien. C'est aussi pour cette raison que toutes les institutions et
associations créées directement par les masses ouvrières et paysannes
leur déplaisent tant et l'on peut ainsi comprendre qu'ils fassent tout
leur possible pour en limiter toujours l'indépendance et les soumettre,
à la première occasion, à l'autorité centrale du parti, comme ce fut le
cas avec les soviets comme avec les syndicats. D'autres organisations,
comme par exemple les coopératives, ont été aussi totalement détruites ;
les bolcheviks cherchent certes aujourd'hui à les rebâtir, mais
naturellement sous la direction de l'État, afin qu'elles facilitent,
comme l'explique Lénine lui-même, «les rapports entre l'État et le
capitalisme et rendent possible un meilleur contrôle».
C'est par cette méfiance profondément enracinée envers toutes les
tentatives de la base que s'explique enfin la prédilection vraiment
fanatique des bolcheviks pour les décrets. C'est le fétiche de leur art
de gouverner, qui remplace chez ses représentants les actions
révolutionnaires du peuple lui-même. Ainsi est née cette monstrueuse
épidémie de «décrets révolutionnaires» et d'ordonnances qui suffoquerait
même le juriste le plus matois, tellement caractéristique de l'état
actuel des choses en Russie. Bien que l'on sache que
quatre-vingt-dix-neuf pour cent de tous ces décrets se perdent rien
qu'en parcourant les innombrables bureaux, le flot de papier n'en croît
pas moins chaque jour. Aucun gouvernement n'a encore mis au monde autant
de décrets et d'ordonnances que le gouvernement bolchevique: si l'on
pouvait sauver le monde avec des décrets, il y a longtemps qu'il n'y
aurait plus aucun problème en Russie.
On ne peut ici que se rappeler les merveilleuses paroles de Bakounine:
«Je suis avant tout catégoriquement opposé à une révolution accomplie
par décrets, qui n'est autre que la suite et l'application de l'idée
d'un "État révolutionnaire", c'est-à-dire de la réaction sous le masque
de la révolution. À la méthode des décrets révolutionnaires, j'oppose
celle des faits révolutionnaires, la seule efficace, logique et vraie.
La méthode autoritaire, qui veut imposer aux hommes la liberté et
l'égalité d'en haut, détruit en fait ces dernières. La méthode d'action
anarchiste provoque les faits, les "éveillant" de manière infaillible et
en dehors de toute ingérence d'un quelconque pouvoir officiel et
autoritaire. La première méthode, celle de "l'État révolutionnaire",
conduit forcement au triomphe final de la réaction ouverte, la seconde
réalise la révolution sur une base naturelle et inébranlable.»
BAKOUNINE avait-il pressenti que l'Histoire lui donnerait raison d'une
manière aussi tragique? Il est difficile de le croire.
Révolution bourgeoise ou révolution des masses
Seul un homme méconnaissant aussi totalement les forces créatrices
latentes au sein du peuple que Lénine a pu taxer la liberté de «préjugé
bourgeois». La manie marxiste de ne voir dans toutes les révolutions du
passé que des manifestations de la bourgeoisie devait évidemment
l'amener à une telle conception. Cette conception est cependant tout à
fait trompeuse.
Aussi bien dans la Révolution anglaise que dans la Grande Révolution
française, on peut nettement distinguer deux courants: la révolution
populaire et le mouvement révolutionnaire de la bourgeoisie. Dans les
principaux événements de la révolution, ces deux courants vont souvent
dans le même sens, chacun d'eux n'en poursuivant pas moins ses buts
propres. Sans la révolution populaire, c'est-à-dire sans ce mouvement
grandiose des paysans et de la population prolétarienne des villes, le
système féodal et la monarchie absolue n'auraient jamais pu être abattus
en France. Le but initial de la bourgeoisie était une monarchie
constitutionnelle sur le modèle anglais, doublée d'un modeste allégement
des charges féodales. Elle se serait tout à fait satisfaite de partager
le pouvoir avec l'aristocratie, tous les autres buts plus lointains ne
la préoccupaient pas le moins du monde et le mot de Camille Desmoulins
suivant lequel «il n'y avait pas une douzaine de républicains à Paris
avant 1789» décrit on ne peut plus justement le véritable état de
choses. Ce furent les soulèvements des paysans et des prolétaires des
villes qui poussèrent la révolution de l'avant et furent de ce fait
combattus avec la plus grande énergie par la bourgeoisie. Ce fut la
révolution populaire qui abolit le système féodal et détruisit la
monarchie absolue, malgré la résistance que lui opposa la bourgeoisie.
Si cette dernière l'emporta en fin de compte et put prendre le pouvoir
en main, cela ne prouve absolument pas que la révolution en elle-même
ait eu un caractère bourgeois. Il suffit de rappeler le mouvement des
Enragés et la conjuration de Babeuf pour se convaincre que, dans les
profondeurs du peuple, furent à l'oeuvre des forces que l'on ne peut
certainement pas qualifier de bourgeoises.
La bourgeoisie fut obligée par la révolution des masses, et contre elle,
de porter ses buts plus loin qu'elle ne l'avait voulu au départ, de
garantir par exemple dans sa législation certains droits et certaines
libertés à l'ensemble des citoyens, qu'elle ne leur aurait d'elle-même
jamais accordés volontairement. Nous savons que ses représentants ont
toujours cherché et cherchent encore aujourd'hui à limiter ces droits ou
à les rendre temporairement tout à fait illusoires par une
interprétation subtile et, au besoin, la violation directe des lois. On
sait également quelles dures luttes les travailleurs de tous les pays
ont du et doivent encore mener pour obtenir les droits de coalition, de
grève, de réunion et de liberté d'opinion et d'expression. Tous ces
droits, qui sont actuellement nôtres dans les États capitalistes, ne
sont pas dus à la bonne volonté de la bourgeoisie, mais, bien au
contraire, lui ont été arrachés dans une lutte sans trêve. Ils sont le
résultat de grands combats révolutionnaires où les masses ont laissé
plus d'une fois beaucoup de sang et de vies. Vouloir s'en débarrasser
maintenant en les qualifiant de traditionnels «préjugés bourgeois» n'est
autre chose que parler en faveur du despotisme des temps passés.
Nous ne nous faisons pas la moindre illusion sur la vraie signification
de ces droits: nous savons fort bien que, fut-ce dans les pays
prétendument «les plus libres», ils sont extrêmement limités et n'ont
qu'une valeur très relative, dès qu'il s'agit des travailleurs, LÉNINE
ne nous apprend rien de neuf à ce sujet. Cela ne change cependant rien
au fait que les travailleurs des pays capitalistes peuvent en
bénéficier, ne serait-ce que jusqu'à un certain point, alors qu'ils
n'existent absolument pas pour la classe ouvrière russe, sous la
dictature bolchevique.
Les aspirations profondes des masses
Au cours de chaque grand bouleversement social, on peut observer très
nettement deux tendances au sein des masses qui, pour s'exprimer souvent
sans précision et confusément, n'en sont pas moins toujours clairement
reconnaissables: le désir d'égalité sociale, et surtout, celui d'une
plus grande liberté personnelle. On peut même soutenir que ce dernier a
toujours été la force motrice de chaque révolution. Ce ne sont pas
toujours les questions du pain et du beurre qui ont mis en branle les
masses ; plus le sentiment de la dignité humaine est développé en elles,
et plus clairement se sont exprimées dans leurs luttes les exigences
dites «idéelles». Il en a toujours été ainsi et un simple coup d'oeil
sur les petits combats quotidiens de notre époque nous montre que
d'innombrables grèves se déclenchent jour après jour, non pas pour
l'obtention d'avantages matériels, mais, par exemple, pour répondre à la
mise au pas d'un camarade ou pour obtenir l'éloignement d'un
contremaître qui n'a pas suffisamment respecté la dignité des ouvriers,
etc. De plus, ce sont généralement ces luttes qui sont menées de la
manière la plus opiniâtre. Celui qui ignore ce profond désir de liberté
personnelle chez l'homme prouve seulement par là qu'il n'a pas saisi
l'influence d'une des forces les plus élémentaires de l'histoire de
l'évolution humaine, ce qui est précisément le cas des bolcheviks. Par
toute sa nature, le bolchevisme est hostile à la liberté, d'où sa haine
fanatique de toutes les autres tendances socialistes favorables aux
libres manifestations des masses. Ses représentants les plus éminents ne
peuvent se représenter le socialisme que dans le cadre de la caserne ou
du pénitencier.
Citons seulement, à titre d'illustration de cette affirmation - et pour
ne donner qu'un exemple entre mille autres - les mots suivants de
Boukharine: «La contrainte prolétarienne, qui va des exécutions
sommaires au travail forcé, telle est la méthode, quelque paradoxale
qu'elle puisse paraître, pour transformer le matériel humain de l'époque
capitaliste en humanité communiste.»
On se prend la tête à deux mains et on se demande si l'homme qui a
prononcé ces paroles a bien tout son bon sens. M. Boukharine ne semble
malheureusement pas comprendre que lui et ses amis appartiennent aussi
au «matériel humain de l'époque capitaliste» et qu'il conviendrait tout
particulièrement de les «transformer» aussi, lui et les siens ; et au
plus vite, si l'on en juge d'après les paroles que nous venons de citer.
On pense involontairement au sinistre personnage de Torquemada, qui
accompagnait, l'oeil humide, ses victimes au bucher et estimait de même
que le «matériel humain» de son temps ne pouvait être «transformé» en
autant de vertueux serviteurs de la Sainte Église que par les flammes
purificatrices. Le but de Torquemada était le triomphe de la «Sainte
Église», celui de Boukharine «l'humanité communiste», mais leurs
méthodes proviennent de la même attitude d'esprit.
Ces paroles ne peuvent, hélas, pas être prises comme l'expression d'un
cerveau dégénéré, chez lequel le souhait engendre la pensée, elles sont
bien plutôt celle d'une affligeante réalité. Sous la domination
bolchevique, le travail a été en effet totalement militarisé en Russie,
si bien qu'il s'y effectue dans les conditions d'une discipline de fer.
C'est ainsi qu'un ouvrier communiste écrit par exemple dans le numéro 13
du Métallurgiste:
«Une soumission totale aux ordres du directeur a été inaugurée à l'usine
P. de Kostama. Droit de regard et droit à la parole sont interdits aux
ouvriers. Les directives du comité ouvrier sont les mêmes que celles de
la direction. Une absence sans autorisation du supérieur signifie
privation sur le chantier des rations supplémentaires. Un refus de faire
des heures supplémentaires, même chose. Pour un refus persistant, c'est
l'arrestation; pour les retards au travail. une amende égale au salaire
de deux semaines.»
La discipline et les révoltes ouvrières
Par un flot de décrets, le gouvernement soviétique a essayé de rendre
plausible aux ouvriers qu'il était nécessaire, dans l'intérêt de la
nation, d'introduire dans les usines la même discipline absolue qu'à
l'armée, mais les travailleurs n'ont pas pu s'accommoder d'une telle
vision des choses. C'est ainsi qu'à commencé en 1920 un énorme mouvement
de grèves, qui s'est emparé de presque tous les centres industriels du
pays, dirigé en premier lieu et pour ainsi dire presque exclusivement
contre cette militarisation du travail. Les chiffres du comité central
des statistiques du secrétariat au travail nous renseignent sur
l'étendue du mouvement:
1. - Des grèves ont éclaté dans soixante-dix-sept pour cent des grandes
et moyennes entreprises.
2. - Elles se poursuivent dans les entreprises nationalisées,
quatre-vingt-dix pour cent des grèves touchant justement fabriques et
entreprises de cette catégorie.
3. - Dans quelques usines n'ont éclaté, pour la période considérée, que
3 à 4 grèves.
4. - Petrograd est la ville la plus touchée par les grèves, la moins
touchée étant Kazan.
Un manifeste des ouvriers pétersbourgeois de l'époque du grand mouvement
de grèves, peu avant le soulèvement de Cronstadt, est significatif de la
mentalité des grévistes - c'est ainsi que l'on peut y lire: «C'est comme
si nous avions été condamnés aux travaux forcés, tout, excepté la
nourriture, devant se faire selon des règles prescrites. Nous ne sommes
plus des hommes libres, nous sommes des esclaves.»
Dans le rapport de l'inspection paysanne et ouvrière pour la réforme des
prisons de Moscou de juillet 1920, il est dit qu' «à la prison Boutirki
se trouvent 152 ouvriers des usines Brianski. Arrêtés pour avoir
participé à une grève le 1er mars, ils n'ont pas encore été interrogés.»
Toutes ces grèves ont été réprimées avec la plus grande brutalité par le
gouvernement soviétique, qui est allé jusqu'à faire exécuter des
ouvriers par la loi militaire. Dans tous les ateliers et toutes les
usines, il y a des espions du parti communiste, chargés de surveiller
l'état d'esprit des travailleurs. Quiconque ose exprimer son
mécontentement sur l'état des choses actuel risque la prison; ainsi est
terrorisée la classe ouvrière, opprimée toute velléité d'une libre
expression de sa volonté, et cette honteuse tyrannie apparaît à
Boukharine et à ses camarades de parti comme la seule méthode pour
«transformer le matériel humain de l'époque capitaliste en une humanité
communiste» !
Nous devons avouer que pareille méthode ne nous en a jamais imposé, car
elle n'a jamais obtenu, à notre avis, que le contraire de ce que ses
partisans recherchaient en l'employant. L'expérience la plus amère nous
a aussi donné raison. La méthode bolchevique ne nous a pas rapprochés de
l'«humanité communiste», elle a tout au contraire irrémédiablement
compromis le communisme et rendu sa réalisation plus lointaine qu'elle
ne le fut jamais. Au lieu d'aboutir à l' «humanité communiste», on est
aujourd'hui alertement revenu au capitalisme et il y a, dans de telles
conditions, bien peu d'espoir de pouvoir «transformer le matériel humain
de l'époque capitaliste» dans le sens où le voudraient Boukharine et ses
amis.
Les bolcheviks contre l'initiative de la base
La «dictature du prolétariat» s'est sans contredit montrée capable de
faire naître une nouvelle classe dominante et de faire de la Russie le
pays le plus asservi du monde, mais elle a pitoyablement failli dans la
réorganisation de la vie économique et sociale. Certes, d'énormes
obstacles s'opposaient à celle-ci: les terribles suites d'une guerre
longue de presque sept années, le manque de matières premières,
d'outillage et de voies ferroviaires sont autant de facteurs d'une très
grande importance, pour lesquels les bolcheviks ne sont évidemment pas
responsables. Qu'une reconstruction de l'ensemble de la vie économique
sur des bases nouvelles ait été, dans ces circonstances, une tâche
immense, aucun homme sensé ne le contestera. Et cette tâche devait être
résolue, à tout prix et dans n'importe quelles circonstances, car tout
l'avenir de la révolution dépendait précisément de sa solution.
Ce que nous reprochons aux bolcheviks, c'est d'avoir systématiquement
exclu, par leurs méthodes de violence, toute possibilité d'une solution
de cette tâche la plus décisive et la plus importante, transformant
ainsi la vie économique tout entière en un monceau de ruines. Hostiles à
toute initiative venant du peuple lui-même, ils ont détruit les forces
constructives de la révolution, qui surgissent des masses. Ainsi naquit
inévitablement cette monstrueuse bureaucratie, dans les poussiéreuses
officines de laquelle ont misérablement suffoqué les dernières
étincelles de volonté révolutionnaire. Ne citons ici qu'un exemple entre
mille: en fidèles disciples de MARX, les bolcheviks essayèrent d'abord
d'organiser toute l'industrie sur les grandes entreprises et négligèrent
presque totalement les moyennes, qui ne faisaient qu'entraver leurs
efforts de centralisation. Or chacun sait que les grandes entreprises ne
sont rentables que si elles sont remarquablement bien dirigées. Cela
était particulièrement difficile à réaliser dans un pays comme la
Russie, où les forces organisationnelles, capables de superviser de
grands complexes industriels, n'existent pas en nombre suffisant. Les
habitudes bureaucratiques des bolcheviks ne firent, de plus, que
compliquer la tâche, en subordonnant des spécialistes à des commissaires
ignorants, dont le seul mérite était la qualité de membres du parti
communiste. Toute initiative personnelle sérieuse fut ainsi éliminée dès
le début et tout le travail réglé sur un schéma mort ; le fiasco devait
être évidemment d'autant plus grand qu'il s'agissait de grandes entreprises.
Le retour des propriétaires capitalistes
Le déclin rapide des petites et moyennes entreprises devenant toujours
plus évident, les associations coopératives russes proposèrent au
gouvernement qu'on leur laissât la direction des premières. On pourrait
penser qu'un gouvernement qui, selon ses propres dires, voulait préparer
la voie au communisme, aurait accepte avec joie une telle proposition.
Premièrement, les coopératives étaient un remarquable élément
organisationnel, disposant de connaissances en matière d'administration,
et elles auraient aussi pu devenir, grâce à leurs nombreux membres, dans
les villages, un excellent organe médiateur entre la ville et la
campagne. Mais c'est justement cela que le gouvernement ne voulait pas:
une liaison directe entre paysans et ouvriers, sans l'intermédiaire des
commissaires ne pouvait lui paraître qu'une monstruosité contraire à
toutes les lois de la bureaucratie. Aussi la proposition des
coopératives fut-elle refusée sans hésitation. Mais, aujourd'hui, on
rend aux propriétaires capitalistes, qui employaient avant la révolution
moins de trois cents ouvriers, leurs anciennes entreprises et, à vrai
dire, parce que l'on pense redonner ainsi vie aux activités productives
des petites entreprises et amener leurs produits à la campagne. Ce que
l'on a autrefois refusé aux coopératives, on en charge aujourd'hui les
capitalistes, tout en les rétablissant dans leurs anciens droits.
Cet exemple est typique. Il jette une lumière crue sur toute la
monstruosité d'une méthode absurde qui, selon ses partisans non moins
absurdes, est la seule qui puisse amener le communisme. Cette même
méthode est également la cause du complet désintérêt des travailleurs
pour leur travail. En les réduisant à l'état de galériens, privés de
tout contrôle personnel sur leur travail et inconditionnellement soumis
aux ordres de leurs supérieurs, on a tué en eux tout sentiment de
responsabilité et toute conscience d'intérêts communs. Le travail forcé
n'est, en effet, pas un moyen de susciter en l'homme le gout du travail
et son amour, qui ne sont possibles que par le sentiment de la liberté
et le développement de la responsabilité personnelle, qui relie chaque
individu aux intérêts de tous. La merveilleuse théorie du «travail
attractif» de Charles Fourrier n'a laissé aucune trace dans les esprits
des communistes jacobins de la République soviétique. Aussi KROPOTKINE
n'avait-il pas tort de déclarer dans son «Message aux travailleurs
occidentaux»:
«Dans l'expérience russe, nous voyons comment le communisme ne peut pas
être introduit, bien que la population, écoeurée par l'Ancien Régime,
n'ait pas opposé de résistance active à l'expérience du nouveau
gouvernement. L'idée des conseils, contrôlant la vie politique et
économique du pays, est en elle-même extraordinairement importante et
significative... Mais, aussi longtemps que le pays est dominé par la
dictature d'un parti, les conseils ouvriers et paysans perdent
naturellement toute leur signification. Ils sont dégradés jusqu'à jouer
le rôle passif que les représentations des États et les parlements
jouaient autrefois, lorsqu'ils étaient convoqués par le roi et devaient
combattre un tout-puissant conseil de la couronne. Un conseil ouvrier
cesse d'être un conseiller libre et précieux, lorsqu'il n'existe plus de
presse libre dans le pays, comme c'est le cas chez nous depuis plus de
deux ans maintenant. On a excusé cet état de choses. Bien plus, les
conseils ouvriers et paysans perdent toute signification, quand aucune
agitation électorale ne précède leur élection, celle-ci se déroulant
sous la pression de la dictature du parti. Il y a naturellement l'excuse
habituelle, selon laquelle un gouvernement dictatorial est indispensable
comme moyen de lutte contre l'Ancien Régime. Mais un gouvernement des
conseils de cette sorte signifie un pas en arrière, dès que la
révolution avance dans l'édification d'une nouvelle société sur une base
économique nouvelle: il devient un principe mort sur une base nouvelle.»
Nous savons aujourd'hui que la «dictature du prolétariat» a été un échec
dans tous les domaines où il s'agissait véritablement de l'exécution des
exigences socialistes, mais qu'en revanche elle a étouffé la révolution
et développé jusqu'à leurs plus extrêmes conséquences la tyrannie de
tous les systèmes despotiques antérieurs. C'est en cela que réside sa
tragique signification pour l'histoire à venir.»
Rudolf Rocker
SOURCE: Bibliothèque Anarchiste
https://www.socialisme-libertaire.fr/2023/07/de-l-essence-de-la-revolution-populaire-liberte-et-socialisme.html
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