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(fr) Alternative Libertaire #347 (UCL) - Confédération paysanne: «On ne veut pas être la caution des pollueurs et du capitalisme vert»
Date
Thu, 21 Mar 2024 16:08:33 +0000
Deuxième partie de l'entretien que nous avait accordé Fanny Metrat,
porte-parole de la Conf' de l'Ardèche (voir AL n° 341, septembre 2023):
greenwashing, compensation, solidarité internationale, conservation de
la nature coloniale et nécessité de faire réentendre une voix paysanne
dans la convergence des luttes écologiques et sociales. ---- Alternative
libertaire: Le constat d'aller droit dans le mur, on est nombreuses et
nombreux à le faire, et pourtant les gouvernements communiquent beaucoup
sur leurs mesures écologiques. Cette soit-disant transition écologique,
on n'y est pas encore? ---- Ça fait vingt ans qu'on tanne les ministères
qui se succèdent pour un vrai soutien à la transition agroécologique,
mais dans les faits il ne se passe rien. Là, on ne nous pond que des
mesurettes de merde.
Leur nouveau truc c'est le label HVE, haute valeur environnementale. Le
ministère a soutenu à fond ce label-là qui est en train de fleurir dans
les campagnes. Aux yeux du ministère, il vaut l'agriculture biologique,
alors qu'en fait ça ne change rien dans les pratiques. On peut quand
même utiliser des pesticides hyper nocifs, toutes les pratiques sont
maintenues, seulement on va planter trois arbres pour faire une haie. Ça
c'est du greenwashing, on saupoudre de mesurettes soi-disant
environnementales pour faire passer la pilule, mais au final, rien ne bouge.
Et on continue à essayer de nous faire croire que le gouvernement et le
ministère vont dans le bon sens de la transition, alors qu'on le voit,
c'est complètement faux: on en est même très loin.
Même si on n'en attend rien, le constat que tu fais est très négatif...
Oui mais on est dans une situation super, super raide. Tous les jours,
on reçoit des règlements, des propositions de règlements européens ou
français, mais tout va dans le mauvais sens. Par exemple là, il y a en
préparation une grosse loi sur la restauration de la nature au niveau
européen, avec des objectifs hyper louables de sortie des pesticides, de
favoriser les insectes pollinisateurs... Mais en fait, les mécanismes
pour aller là-dedans c'est la financiarisation de la nature, les
logiques de marché du carbone, de marché de la biodiversité.
C'est-à-dire qu'on fait croire encore que les entreprises et leurs
pratiques ultra polluantes peuvent être compensées en soutenant des
projets vertueux, sans changer rien du tout au fait qu'on est en train
de bousiller les nappes phréatiques, la biodiversité, les sols... Et en
fait, cette logique-là on n'en peut plus. Elle est mise en oeuvre à tous
les niveaux, et notamment au niveau international.
Quels sont les impacts de ces logiques de marché?
Sur les agricultures du Sud et, entre autres, les peuples autochtones,
c'est une logique dévastatrice sous couvert de verdissement, mais pour
nous, c'est purement du capitalisme vert. C'est juste une nouvelle manne
financière pour le capitalisme...
Mais déjà localement, il faut dénoncer ces mécanismes de compensation.
Ça vaut le coup de vraiment insister là-dessus pour nous. C'est un de
nos combats que d'arrêter de faire croire que la compensation
permettrait de rééquilibrer un quelconque déséquilibre. Vraiment, c'est
une hérésie. Et là, on est vraiment en train d'essayer de se battre
contre toutes ces logiques de compensation: la compensation carbone, la
compensation biodiversité, la compensation foncière... Et surtout que,
nous, paysannes et paysans vertueux, avec nos pratiques vertueuses, en
fait, on est en train d'être les cibles de tous ces mécanismes, avec le
risque d'être payé·es pour services écologiques rendus!
À la Conf' ce qu'on rappelle, c'est qu'on ne veut pas rentrer dans ces
mécanismes-là. On ne veut pas que notre revenu paysan, nous paysans et
paysannes vertueuses, soit la caution des pollueurs et du capitalisme vert.
Et pour nous c'est un enjeu primordial, surtout qu'avec nos revenus de
merde, on a peur que, du coup, les paysannes et paysans pour s'en sortir
entrent dans ces logiques, chopent la manne financière promise.
Pour nous, c'est une grosse menace ce qui est en train d'arriver. Et
surtout, on se bouge au sein de la Conf' pour que les paysannes et les
paysans le comprennent. Mais en même temps, quand on n'a pas de revenus,
c'est compliqué de dire «bah non, on ne va pas choper les sous, parce
que c'est du capitalisme vert »! Et le ministère est en train de surfer
là-dessus, à mort; c'est leur nouveau truc.
La compensation s'achète, mais elle n'est pas nécessairement locale, ni
sur le même territoire. De ce fait, quel est le poids de l'engagement
international dans le syndicalisme de la Confédération paysanne?
Concernant l'international, sur cette histoire de compensation
justement, on est en train de faire du lien avec Survival, une ONG qui
met en avant le côté colonial de cette vision de la conservation de la
nature. C'est une vision hyper occidentale, blanche, dominante, d'une
certaine forme de conservation de la nature, qui est prônée à tout va.
Et oui, pour revenir sur l'international, la Conf' fait partie des
organisations qui ont été à l'origine de la création du réseau Via
Campesina au début des années quatre-vingt-dix (1993). Via Campesina
c'est un énorme réseau qui réunit plein de mouvements paysans, de
mouvements de travailleurs et travailleuses de la terre, des peuples
autochtones, de petits pêcheurs. Ça représente deux cents millions de
personnes à travers le monde!
C'est la plus grosse organisation de la société civile, c'est énorme. Le
poids de Via Campesina, on ne le mesure peut-être pas d'ici mais c'est
une organisation, et c'est l'une des rares, à avoir une porte d'entrée à
l'ONU et à pouvoir siéger à la FAO (Food and Agriculture Organization of
the United Nations, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation
et l'agriculture).
La Via Campesina a un siège tournant: le bureau tourne de continent en
continent. Dernièrement c'était au Zimbabwe, avant c'était à Jakarta en
Indonésie, et là, pour la première fois, c'est en Europe, et c'est la
Confédération paysanne qui accueille le siège de la Via Campesina. Du
coup la secrétaire générale de la Via Campesina est paysanne à la Conf';
c'est Morgan Ody, qui est maraîchère dans le Morbihan. Forcément, le
fait d'accueillir la Via, ça a permis de remettre l'internationalisme au
coeur de nos préoccupations. Même si on a toujours eu une approche très
internationaliste, maintenant c'est presque un devoir de faire
systématiquement le lien avec les questions européennes et internationales.
Pensons global, agissons local...
Carrément! Et du coup avec la Via Campesina, on essaye, au-delà d'avoir
des revendications unitaires assez claires - sur le modèle
agroécologique paysan, contre les logiques de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC), contre les accords de libre-échange ou la libéralisation
du marché des semences - de faire le lien entre tous nos combats pour la
terre, l'eau et les semences, et contre les logiques d'accaparement qui
ont fleuri dans les années 2000. À la suite des émeutes de la faim en
2007, 2008 et 2009, ça a été hyper tendu et il y a eu une ruée sur les
terres; maintenant, on voit la ruée sur l'eau des grands accapareurs
mondiaux.
Aussi, ces mises en commun de tous nos combats se font en tissant des
solidarités. On voit un peu partout que les défenseurs de l'agriculture
paysanne sont quand même des cibles hyper faciles pour plein de
gouvernements très répressifs. On a quand même régulièrement des
camarades qui sont assassiné·es du fait de leurs engagements, de leurs
combats.
C'est quelque chose qu'on connaît sans doute peu ici mais les
disparitions, les morts violentes sont légions dans certains pays contre
les militant·es écologistes ou paysan·nes victimes des polices, des
milices d'État ou des grands propriétaires capitalistes... C'est assez
violent cette répression.
Oui, dernièrement c'était au Honduras, avant c'était au Mali, on voit ça
aux quatre coins du monde. Et ici aussi ça devient violent, on a vu la
répression contre les Soulèvements de la Terre. À chaque fois qu'il y a
des gardes à vue de camarades paysan·nes, il y a une chaîne de
solidarité entre les un·es et les autres.
Et je pense aussi que la grosse différence avec plein d'autres
organisations, c'est que la Via Campesina est une organisation hyper
horizontale, il n'y en a pas qui savent pour les autres: c'est vraiment
collégial. Dans ce milieu de la solidarité internationale, on sent bien
qu'il y a une vraie différence avec certaines ONG qui sont restées sur
un modèle, une vision très paternaliste de la solidarité.
Cette vision colonialiste, blanche de ce que serait la nature avec une
injonction à la défense de la diversité et d'une nature sauvegardée dans
le Sud, par compensation, pendant qu'ici on pourrait être dans la
monoculture intensive. C'est ça?
C'est même pas que ça. Par exemple, un des grands combats au Kenya, pour
le coup ce sont les Maasaï, qui sont des peuples éleveurs depuis
toujours, qui sont expulsé·es de leurs terres pour faire de la
conservation de la nature, pour laisser la place aux grands animaux. En
l'occurrence, c'est un groupe financier anglais qui est en train
d'expulser des Maasaï ou de leur expliquer comment faire pour protéger
la nature.
Pour avoir des images de safari à offrir aux occidentaux...
Oui c'est ça. Et des projets comme ça il y en a plein. Chez nous aussi
dans nos zones de montagne «sauvages» (entre guillemets, parce que pour
nous, le sauvage et le domestique sont intimement liés et mêlés et il
n'y pas de dichotomie aussi claire que ce que l'on peut imaginer vu des
grandes villes). Il y a eu dans la Drôme des achats de terres pour faire
des réserves intégrales, avec, du coup, l'idée d'expulser de ces
territoires les éleveurs qui y faisaient pâturer leurs bêtes. Il y a un
peu cette logique où le sauvage serait le truc à défendre mordicus pour
compenser une agriculture déviante, hyper industrielle.
C'est une vision rewilding, romantisée et fantasmée de la nature.
Oui et nous notre boulot c'est aussi de rappeler que ce qu'on vit dans
nos territoires, c'est pas hors de la nature: l'humain n'est pas hors de
la nature. On a entre nous, nos troupeaux et le territoire qui nous fait
vivre, des liens complexes qui ne peuvent pas rentrer dans des cases
aussi manichéennes que celles dans lesquelles certains voudraient nous
faire entrer.
Ça rappelle un peu ce que nous dit l'anthropologue Philippe Descola sur
la nature qui en fait une vision très occidentale et pas du tout
partagée par une majorité de peuples de par le monde. Une vision
totalement autocentrée et qui, en plus, peut avoir un pouvoir mortifère.
Et tu vois, ça, avec la Via Campesina, avec des peuples qui ont une
vision holistique des choses, on se retrouve pleinement. Par contre en
France c'est plus délicat, et notamment avec des allié·es habituel·les
avec qui on partage plein de combats, mais qui ont une certaine vision
environnementaliste. Il y a un gros bug entre nous, elles et eux.
Comme avec le mouvement végan. On ne se comprend pas du tout. On ne peut
pas mettre l'élevage paysan et l'élevage industriel dans la même
catégorie. Ce n'est pas possible. En fait, nous ce qu'on vit, la
communauté qu'on forme avec nos troupeaux et le lieu qui nous fait
vivre. C'est pas possible, vous ne pouvez pas ne pas faire la
différenciation, la distinction entre les deux.
C'est du à quoi à ton avis? Est-ce que c'est le signe d'une déconnexion
de plus en plus grande de sociétés comme les nôtres, où les gens vivent
de plus en plus en ville et de moins en moins en lien avec les milieux
paysans?
Oui c'est une vision complètement déconnectée des réalités de ce qui se
passe sur le terrain, une vision où l'humain, le domestique, le sauvage
sont complètement déconnectés. Moi je vis dans une vallée en cul-de-sac,
isolée au milieu de la montagne. Le lien au sauvage et au domestique est
partout: les terrasses des anciens qui ont été faites il y a des calades
partout, la trace de l'humain, elle est partout et en même temps, les
broussailles ont pris le dessus, la forêt a repris le dessus. Et c'est
un lien complexe qu'on vit entre maintenir certains espaces ouverts,
utiliser les forêts l'été, les étés secs, pour faire pâturer nos bêtes.
Tout est lié. Il y a un couple d'aigles royaux qui vit juste au-dessus
de chez nous. Tout ça c'est complexe.
Il est nécessaire et vital qu'on bosse à fond, justement, dans ces
convergences avec les allié·es qu'on a l'habitude d'avoir dans plein de
luttes, celles et ceux qui ont une vraie sensibilité à se demander:
comment on se nourrit, comment sont répartis les espaces, comment on
répartit les communs? Il faut qu'on fasse réentendre une parole paysanne
qui a été trop longtemps tue.
Propos recueillis par David (UCL Savoies)
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Confederation-paysanne-On-ne-veut-pas-etre-la-caution-des-pollueurs-et-du
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