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(fr) Alternative Libertaire #348 (UCL) - #348 Rwanda: Depuis 1994, l'ombre du génocide des Tutsis
Date
Thu, 4 Apr 2024 20:26:16 +0100
Il y a trente ans commençait au Rwanda le génocide des Tutsis. C'est
l'occasion de revenir sur le contexte colonial qui a mené aux massacres
et sur la responsabilité de la France dans les évènements. Aujourd'hui,
les séquelles continuent de marquer la région des Grands Lacs, au
travers entre autre de décennies de guerre au Nord-Kivu... ---- Le 7
avril 1994 commençait au Rwanda le génocide des tutsis. En seulement une
centaine de jours, un million de victimes sont tuées, essentiellement à
l'aide de machettes, de houes et de gourdins. Les victimes sont souvent
massacrées par leurs voisins, parfois par leurs propres familles. Trente
ans plus tard, il est évident que ce génocide est le résultat de
l'histoire coloniale du Rwanda. On a aussi pu confirmer au fil des
années le rôle joué par l'État français, non seulement en laissant les
massacres se perpétrer, mais aussi en aidant directement les
génocidaires à échapper à la justice.
Genèse coloniale d'un génocide
Pour comprendre les évènements, il est important de remonter à l'époque
coloniale, plus exactement au lendemain de la Première Guerre mondiale,
quand la Société des Nations donne à la Belgique un mandat
d'administration du Ruanda-Urundi, auparavant rattaché à l'Allemagne. La
Belgique le rattachera administrativement au Congo belge en 1925.
Rapidement, les colons vont chercher à ethniciser les populations,
appliquant les théories raciales européennes à la société rwandaise.
La population du royaume du Rwanda est regroupée en une vingtaine de
clans familiaux, où se côtoient trois groupes socio-économiques: les
Hutus (84% de la population, majoritairement cultivateurs), les Tutsis
(15% de la population, en majorité éleveurs, propriétaires de troupeaux)
et les Twa (1% de la population). Ils partagent la même langue, le
kinyarwanda, les même coutumes et religion. Mais les colons vont
ethniciser ces groupes sociaux, en cherchant à leur attribuer des traits
physiques et intellectuels. Avec l'appui de l'église catholique, ils y
implantent aussi une théorie sur l'origine de ces ethnies, «l'hypothèse
hamitique», qui trouve ses fondements dans la Bible et les théories
raciales de l'époque. Elle va servir de base aux colons pour considérer
les Tutsis comme supérieurs aux Hutus et choisir de les traiter de façon
privilégiée. En 1931, cette discrimination prend notamment la forme de
la mise en place d'un livret d'identité mentionnant l'ethnie[1].
La France et le Rwanda: une relation rapprochée
Le 1er novembre 1959 commence la révolution rwandaise, qui mènera d'un
coté à l'indépendance du Rwanda en 1962, mais aussi aux premiers
massacres de Tutsis par les révolutionnaires Hutus, les tensions entre
les groupes ayant été attisées par les colons et l'église sentant monter
les revendications anticoloniales. 336000 Tutsi·es sont contraint·es à
l'exil dans les pays voisins, soit la moitié de la population tutsie du
pays.
Les tensions vont continuer leur escalade. Le 5 juillet 1973, le général
pro-hutu Juvénal Habyarimana prend le pouvoir par un coup d'état, dans
une période de fortes persécutions contre les tutsis. Il crée en 1975 le
Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) qui
devient le parti unique du pays. La même année, la France, présidée par
Giscard d'Estaing, signe un accord de coopération militaire avec le
Rwanda. Ce sera l'une des premières étapes d'une relation rapprochée.
En 1987, des exilés tutsis en Ouganda créent le Front patriotique
rwandais (FPR), dans le but de préparer la lutte armée contre la
dictature d'Habyarimana. Le 1er octobre 1990, le FPR lance une offensive
sur le nord du Rwanda, c'est le début de la guerre civile rwandaise qui
oppose le FPR aux Forces armées rwandaises (FAR).
Le gouvernement rwandais va immédiatement solliciter l'appui de la
Belgique et de France, qui envoient toutes deux des troupes. Si les
troupes belges ne resteront que quelques jours à cause d'une opinion
publique très défavorable, les militaires français de l'opération Noroît
resteront présents pendant trois ans, alors que de nombreux massacres de
Tutsis ont lieu. Dès octobre 1990, le colonel René Galinié fait remonter
des inquiétudes sur un risque de guerre ethnique, ainsi que les craintes
de génocides des Tutsis. Tout porte à croire que son opposition au
gouvernement mènera au blocage de sa carrière[2].
Le 4 aout 1993, la signature des accords d'Arusha doit, en principe,
mettre fin au conflit. Ce ne sera en réalité que quelques mois de calme
avant le génocide.
Une course morbide contre la montre
Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais est abattu, le tuant sur
le coup, ainsi que le président burundais et les dix autres personnes à
bord. Si les nombreuses enquêtes sur cet attentat n'en ont jamais établi
les responsables de façon définitive, l'hypothèse la plus probable reste
celle d'un assassinat orchestré par des membres du MRND et du
CDR[3]tenant du Hutu Power, mouvement extrémiste pro-hutu, ayant vécu la
signature des accords d'Arusha comme une trahison de la part du
président Habyarimana. L'attentat servant également de prétexte pour
mettre en pratique leurs projets génocidaires. Plusieurs éléments
confortent cette hypothèse, notamment la mise en place de barrages à
Kigali avant même l'explosion de l'avion, ou l'annonce par la Radio des
Milles Collines dans les jours précédents: «une petite chose est prévue.
Cette petite chose va continuer dans les jours suivants...».
Dès la nuit de l'attentat, des massacres commencent. Ils dureront 3
mois. Un gouvernement intérimaire est mis en place, composé
d'extrémistes acquis au Hutu Power. Les massacres sont commis par des
milices et l'armée souvent avec le soutien de civils, suivant les ordres
transmis méthodiquement. Les tueries sont aussi accompagnées par la
Radio des Milles Collines qui encourage les massacres et les guide en
temps réel, transmettant des informations sur les cachettes des
tutsi·es. En parallèle le FPR lance une offensive depuis le nord du
pays. Pour les génocidaires, c'est une course morbide contre la montre:
exterminer autant de tutsi·es que possible avant la prise de Kigali par
le FPR, qui surviendra le 17 juillet. À cette date, le génocide a fait
plus d'un million de mort·es, des tutsi·es en grande majorité, ainsi que
des milliers de hutu·es modéré·es.
Des responsabilités accablantes de la France
Dès 1994, le rôle de la France est évident: c'est notamment à
l'ambassade de France à Kigali que se tiennent les réunions des
extrémistes hutus menant à la mise en place du gouvernement intérimaire
qui dirigera le génocide. Il sera aussitôt reconnu par la France, qui
recevra même le nouveau ministre des affaires étrangères quelques
semaines plus tard, alors que les massacres sont en cours. Le
gouvernement français continue aussi de livrer des armes à l'état
rwandais pendant le génocide.
Trente ans plus tard, malgré la rétention d'information de la France qui
continue de bloquer l'accès aux archives militaires sur la période[4],
de nombreuses enquêtes ont permis de préciser encore d'avantage ces
responsabilités[5].
Le 22 juin1994, la France lance l'opération Turquoise, avec l'objectif
affiché de protéger les «populations menacées» dans une «zone
humanitaire sure», un ordre de mission qui ne fait pas mention du
génocide. Il est aujourd'hui établi que de nombreux responsables des
massacres ont fui le Rwanda vers le Zaïre (l'actuelle République
démocratique du Congo, ou RDC) en passant par la zone contrôlée par
l'armée française[6]. Au fil des années il est aussi devenu clair que
l'armée française a laissé de nombreuses atrocités avoir lieu, notamment
le massacre de Bisesero[7], voir qu'elle a soutenu militairement les FAR
contre le FPR d'après le témoignage de soldats français ayant pris part
à l'opération Turquoise[8]. Encore aujourd'hui, la France sert de refuge
à des génocidaires hutus[9].
En RDC, les échos du génocide
Le génocide a eu de nombreuses conséquences dans les décennies
suivantes. Au Rwanda, Paul Kagame, ancien commandant au sein du FPR,
devient peu à peu l'homme fort du pays, qu'il préside de manière
ininterrompue depuis 2000. Il y pratique un pouvoir autocratique, et des
ONG comme Amnesty International ont pointé son instrumentalisation des
lois sur le génocide pour museler les oppositions[10].
Les conséquences se sont aussi faites sentir dans les pays voisins du
Rwanda. Après le génocide, plus de deux millions de hutus fuient le
Rwanda vers le Zaïre, où ils commencent à s'organiser et continuent de
persécuter des communautés tutsies. Le nouveau gouvernement rwandais va
alors commencer à armer les tutsis zaïrois. En 96, le gouvernement
rwandais soutient l'Alliance des forces démocratiques pour la libération
du Congo (AFDL) lors de la première guerre du Congo, qui mènera à la
chute du dictateur Mobutu.
Le pays devient la République démocratique du Congo, et va être le
théâtre de guerres et d'affrontements ininterrompus depuis trente ans,
en particulier dans l'Est du pays et la région du Nord-Kivu. Ces
conflits ont fait plus de six millions de morts depuis 1998, et provoqué
d'immenses catastrophes humanitaires.
Ces dernières années, un des acteurs principaux de ces conflit est le
mouvement du 23 mars, ou M23, créé avec le soutien du gouvernement de
Paul Kagame qui continue de le soutenir[11]malgré de nombreuses
accusations de massacres, de viols[12]et de recrutement
d'enfants-soldats[13]. Le M23 est principalement composé de Tutsis, et
s'oppose notamment au FDLR[14], groupe armé constitués de hutus rwandais
réfugiés en RDC[15].
L'impérialisme occidental, carburant des guerres post-coloniales
Mais les échos du génocide sont loin d'être la seule raison des conflits
dans la région: ils se structurent surtout autour de ses immenses
richesses minières, ses sols contenant de grandes réserves d'or, de
diamants, d'étain, de cuivre, de tungsten et de cobalt. Surtout, la
région du Kivu contiendrait 60 à 80% des réserves mondiales de Coltan,
un minerai dont est extrait le tantale, un métal très important dans la
fabrication des appareils électroniques. Ces ressources sont extraites
dans des mines privatisées à plus de 70%, exploitées directement ou
indirectement par des grands groupes européens (notamment Glencore et
ENRC) et par la Chine.
Il ne fait aucun doute que le fait de conserver une attache dans une
région aussi stratégique a pesé lourd dans les choix faits par les
différents gouvernements français successifs. Tour à tour soutien du
président Juvénal Habyarimana, puis du gouvernement intérimaire
génocidaire, la France essaie aujourd'hui de normaliser ses relations
avec le gouvernement de Paul Kagame: reconnaissant du bout des lèvres
les responsabilités de la France dans le génocide lors d'une visite à
Kigali en 2021, Macron refuse de reconnaître publiquement l'implication
du Rwanda dans les conflits du Nord-Kivu. Trente ans après le génocide,
l'impérialisme reste la seule boussole de l'État.
N. Bartosek (UCL Alsace)
Chronologie
* XVe siecle fondation du royaume du Rwanda.
* 1923 à la suite de la Première Guerre mondiale, la Société des Nations
donne à la Belgique un mandat d'administration du Ruanda-Urundi. Elle y
mettra en place l'ethnicisation des Hutus et des Tutsis.
* 1er novembre 1959 - 25 septembre 1961 révolution rwandaise ou
révolution hutue: abolition de la monarchie et instauration d'une
république dirigée par le Parmehutu, parti pro-hutu. La «Toussaint
rouge» en novembre 1959 pousse 336000 Tutsis à s'exiler dans les pays
voisins à la suite des massacres.
* 1er juillet 1962 proclamation de l'indépendance du Rwanda.
* 5 juillet 1973 coup d'État du général Juvénal Habyarimana pro-hutu
dans un contexte de persécutions des Tutsis.
* 1975 signature d'une coopération militaire avec la France.
* 1er octobre 1990 - 4 aout 1993 guerre civile rwandaise à la suite de
l'invasion du nord du pays par le FPR depuis l'Ouganda. Nombreux
massacres de Tutsis.
* 4 aout 1993 signature des accords d'Arusha, mettant fin à la guerre.
* 6 avril 1994 mort du président rwandais Juvénal Habyarimana après
qu'un missile ai abattu son avion.
* 7 avril 1994 assassinat de la première ministre Agathe Uwilingiyimana,
Hutue modérée, par la garde présidentielle; début du massacre
systématique des Tutsis par les milices hutues d'abord à Kigali puis
dans le reste du pays.
* 22 juin 1994 lancement de l'opération Turquoise par la France, visant
à établir une zone humanitaire dans le sud-ouest du pays. Les massacres
des Tutsis continuent dans la zone contrôlée par la France, qui laisse
des milliers de génocidaires fuir vers le Zaïre.
* 4 juillet 1994 prise de contrôle de la capitale Kigali par le FPR.
* 17 juillet 1994 le FPR proclame la fin de la guerre. En une centaine
de jours, un million de personnes ont été tuées, pour l'immense majorité
issues de la minorité tutsie. Plus d'un million de Rwandais ayant
collaboré au génocide ont fui vers le Zaïre.
Notes:
[1]Pour plus de détails sur l'histoire de la colonisation du Rwanda et
du génocide, voir la trilogie d'articles publiée par Alternative
libertaire pour les dix ans du génocide: «1994, le Génocide rwandais»,
Alternative libertaire, avril à juin 2004.
[2]«Il a alerté sur le génocide des Tutsis et a été sanctionné: le
colonel Galinié témoigne», Mediapart, 1er avril 2021.
[3]Coalition pour la défense de la République, parti politique rwandais
ouvertement raciste et pro-hutu.
[4]«Archives militaires sur le Rwanda: malgré les promesses, le verrous
n'a pas sauté», Mediapart, 19 décembre 2021.
[5]Pour approfondir le sujet de l'implication de la France, nous
recommandons l'excellent dossier «La France complice du génocide des
Tutsis au Rwanda» produit par l'association Survie.
[6]«Rwanda: un document prouve l'ordre de la France de laisser s'enfuir
les génocidaires», Mediapart, 14 février 2021.
[7]«Génocide des Tutsis au Rwanda: l'enquête sur le massacre de Bisesero
est relancée», Mediapart, 12 juillet 2022.
[8]Guillaume Ancel, «Rwanda, la fin du silence», Les Belles Lettres, 2018.
[9]«Rwanda: le "Hutu Power" a survécu en France», Mediapart, 18 mai 2021.
[10]«Il est plus prudent de garder le silence. Les conséquences
effrayantes des lois rwandaises sur "l'idéologie génocidaire" et le
"sectarisme"», rapport d'Amnesty International publié en 2010.
[11]«Guerre en RDC: l'ONU souligne l'implication du Rwanda», Mediapart,
19 janvier 2023.
[12]«Human Right Watch accuse les rebelles du M23 de "meurtres et de
viols" en RDC», Libération, 13 juin 2023.
[13]«Enfants-soldats au Nord-Kivu, en RDC: "Pour moi, c'est un travail.
On manquait d'argent."», Libération, 18 mars 2024.
[14]Forces Démocratiques de Libération du Rwanda.
[15]Sur le sujet, nous recommandons le documentaire «RDC: M23, la guerre
sans fin», produit par Arte
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Genocide-des-Tutsis-au-Rwanda-30-ans-apres-l-ombre-du-genocide
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